Seniors et dépendance : consultation et débats pour un changement de modèle

Réflexion sur la place des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), sur le maintien à domicile et sur le coût global de la dépendance sont les objectifs affichés du débat public « Grand âge et autonomie ». Cette consultation citoyenne menée sur Internet vient enrichir la question principale de la loi à venir sur le financement de la dépendance des seniors : comment mieux prendre soin des aînés ?

 

Après Ma santé 2022 et le plan national de prévention et de lutte contre la pauvreté, un nouveau grand chantier intitulé Grand âge et autonomie attend les Français. Annoncée par Emmanuel Macron lors de son discours au 42e congrès de la Mutualité française, la loi sur le financement de la dépendance des seniors sera votée avant la fin de l’année 2019 et la présentation du texte est souhaitée pour le printemps prochain. Des acteurs de la solidarité aux professionnels de la santé en passant par les citoyens, l’implication de tous sera nécessaire à court et moyen terme. Dans son édition 2018, France, portrait social, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) établit un éclairage précis sur la thématique des seniors et de la dépendance. Selon l’Insee, 29 % de la population aura plus de 65 ans en 2070 : un véritable choc démographique. Aujourd’hui, en 2018, les seniors forment déjà 20 % de la population, soit 13,1 millions de Français. Parmi ceux qui vivent dans leur domicile, 14 % se sentent en mauvaise ou très mauvaise santé, ce chiffre s’élève à 35 % pour ceux qui résident en institution. D’après la dernière étude de l’Insee, certains seniors restent actifs pour continuer de subvenir à leurs besoins. Alors qu’en 2006, le taux d’emploi des seniors était de 1,1 %, il est passé à 3 % en 2017, parmi lesquels 70 % cumulent emploi et retraite. Et toutes les catégories sociales sont touchées : 34 % des personnes âgées qui cumulent ces revenus sont très diplômées (médecins, avocats, professeurs…), 18 % sont des artisans-commerçants et 7 % des agriculteurs.

Le coût de la dépendance
 D’ici à 2060 le nombre d’individus en perte d’autonomie devrait logiquement doubler pour atteindre 2,6 millions. Ce chiffre fort justifie aujourd’hui l’urgence d’une loi sur la dépendance, qui ne pourra pas se faire sans l’appui d’une société solidaire basée sur la protection sociale. D’autant plus que les personnes en perte d’autonomie sont parmi celles qui souffrent le plus. En France, pour 1,3 million de personnes dans cette situation, les frais de santé « sont plutôt bien pris en charge, selon la Mutualité française. Mais il s’agit d’un domaine soumis à de fortes inégalités », a-t-elle précisé à l’occasion de la parution son dernier Observatoire sur les impacts du vieillissement de la population. Car, même pour un individu bénéficiant d’une allocation personnalisée d’autonomie (APA) et, parfois, d’une aide sociale à l’hébergement (ASH), le reste à charge est important. Par exemple, dans le cas d’un Ehpad, si la durée locative est de cinq ans, cela coûtera 185 800 euros, dont 153 100 euros seront à la charge du locataire. « Un montant qui dépasse de 47 000 euros environ le niveau de vie médian des retraités », souligne la Fédération nationale de la Mutualité française (FNMF). Des relais de financement devront être trouvés pour pallier notamment les inégalités territoriales en matière d’hébergement. Leurs prix varient en effet d’un département à l’autre. Par exemple, dans la Meuse, une personne dite « sévèrement » dépendante devra débourser 2 050 euros pour un mois d’hébergement, alors que ce montant s’élève plus de 3 500 euros à Paris. La Direction de la recherche et des études (Drees) a sorti une enquête, le 27 novembre dernier, démontrant que la moitié des pensionnaires en maison de retraite n’ont pas les revenus suffisants pour la payer. L’étude révèle que « le reste à charge d’un séjour en maison de retraite est supérieur ou égal à 1 850 euros par mois pour la moitié des pensionnaires, alors que la pension médiane n’est que de 1 500 euros ». Elle précise aussi qu’un résident sur trois, soit 27 %, puise dans son épargne pour financer cet hébergement, 11 % doivent demander à leur entourage de prendre en charge leur placement et 5 % vendent leur patrimoine…

 

Changement de modèle
 Le 1er octobre 2018, lors d’une conférence de presse, la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, a lancé une concertation nationale citoyenne sur Internet, fait inédit pour cette question sociétale. Sur la plateforme de coordination Make.org, tous les citoyens le souhaitant ont pu soumettre des propositions et débattre autour de la question des seniors et de la dépendance. Une nouvelle approche de la part du gouvernement – couronnée de succès puisqu’elle a comptabilisé 1,7 million de votes, 18 000 propositions et la participation de 414 000 Français – que la ministre a expliqué ainsi : « Nous sommes face à un risque, non pas nouveau, mais qu’il s’agit de considérer autrement, dans un nouveau cadre, pour répondre aux défis de demain. […] Nous sommes face à un tournant. Il convient de questionner nos modes de fonctionnement et nos politiques. » Pour elle, le débat citoyen devait « être mené avec la responsabilité collective de maîtriser les dépenses sociales et de rendre compte, de manière peut-être robuste, de la qualité du service qui est rendu à l’usager ». La consultation a permis de faire sortir sept « grandes idées » prioritaires proposées par les citoyens par ordre d’importance : le renforcement du maintien à domicile des personnes âgées ; l’amélioration de la qualité et de l’accueil en établissement spécialisé ; un meilleur accompagnement des aidants ; l’amélioration des conditions de travail des personnels d’aide et de soin aux personnes âgées ; la réduction du coût de prise en charge de la dépendance en établissement comme à domicile ; le renforcement de l’accès à la santé pour les personnes âgées ainsi que le développement de lieux de vie alternatifs ou intergénérationnels innovants. La ministre a confirmé avoir pris en compte les résultats de la consultation citoyenne en annonçant au micro de RTL, le 6 décembre : « il faut organiser complètement différemment le maintien à domicile et trouver le financement pour cela ». Elle a ensuite évoqué un « financement solidaire » pouvant « rassurer les Français [sans] augmenter les cotisations ni les taxes ». Début 2019 la remise détaillée du rapport sur la consultation publique et les conclusions des groupes de travail régionaux permettront d’approfondir la réflexion générale.

Les réflexions de la Mutualité française

La Mutualité française s’est vite emparée du débat en lançant elle aussi une consultation sur Internet ainsi que des forums régionaux, des ateliers thématiques entre les collectivités et l’Etat et des groupes de parole avec les concernés (aidants, personnes âgées…) dans le but de rendre également un rapport début février. Elle s’est aussi intéressée de près aux Ehpad, à la téléassistance et aux équipements connectés qui offrent de réelles solutions. Elle a publié la deuxième édition de son Observatoire Place de la santé, dédié à la santé et la perte d’autonomie, présentant les résultats de deux enquêtes sur les impacts financiers du vieillissement de la population. Pour le président de la Fédération nationale de la Mutualité française (FNMF), Thierry Beaudet, la motivation du gouvernement pour changer la méthode de travail sur cette thématique doit être suivie d’« une réponse globale et ambitieuse. L’édition 2018 de l’Observatoire de la Mutualité française constitue le point de départ de notre mobilisation : nous voulons déclarer l’urgence d’agir, pour prévenir et lutter contre la perte d’autonomie ». Les mutuelles ont un rôle essentiel à jouer « en complément de la solidarité nationale. […] Elles sont déjà extrêmement présentes sur les territoires avec leur réseau d’Ehpad et les alternatives qu’elles proposent (projet d’Ehpad hors les murs, accueil de jour, habitat inclusif…) », ajoute-t-il. Diverses propositions ont déjà filtré, comme celle d’une assurance dépendance complémentaire, « dont il faudra déterminer si elle doit être obligatoire ou non », accompagnée d’une réflexion sur le financement global. Car, « aujourd’hui, hors le coût de travail des aidants, près de 30 milliards d’euros sont consacrés à la perte d’autonomie, dont 24 milliards proviennent des finances publiques. Avec l’augmentation du nombre de personnes dépendantes dans les prochaines années, le financement public ne suffira plus », prévient Thierry Beaudet. Les complémentaires santé dans leur ensemble ont bien compris que la prise en charge de la perte d’autonomie était un sujet préoccupant pour les Français, à l’heure où le vieillissement de la population augmente et où le niveau de vie des retraités diminue en même temps que le nombre d’aidants… Dans un sondage réalisé en 2018 par Harris interactive, 85 % des personnes interrogées estiment que la dépendance n’est pas suffisamment prise en compte par les pouvoirs publics et qu’elles sont même mal informées sur les recours possibles. L’un des enjeux de cette vulnérabilité sociale de plus en plus prégnante serait certainement de permettre aux personnes âgées de conserver leur libre choix, l’exercice de leurs droits et de leur consentement aux mesures les concernant.

 

Loi sur la dépendance des seniors à l’épreuve des mandats

Bientôt arrivé à mi-parcours de son quinquennat, Emmanuel Macron compte aller au bout de sa proposition de loi sur la dépendance. Avant lui, au cours des derniers mandats présidentiels, des propositions ont aussi été envisagées, mais souvent avortées.

En 2011, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, la ministre des Solidarités et la Cohésion sociale, Roselyne Bachelot, avait dirigé des débats interrégionaux durant lesquels des mesures avaient été évoquées, sans jamais aboutir. Forte d’un discours de vérité, la ministre de l’époque avait fait prendre conscience de l’obligation de valorisation du vieillissement. L’épineuse question du financement de la perte d’autonomie avait alors été abordée, tout comme celle d’un système assurantiel obligatoire, de l’augmentation de la CSG, d’un recours sur succession ou encore de la création d’un cinquième risque de la Sécurité sociale. Les premières décisions devaient se retrouver dans le budget de la Sécurité sociale de 2012 (année de fin de mandat de Nicolas Sarkozy), mais la réforme n’a pas été mise en place. Cela représentait pourtant le dernier chantier social du président promis en campagne. Deux ans plus tard, François Hollande a lui aussi annoncé un projet de loi basé sur une promesse de campagne, qui concernait l’adaptation de la société au vieillissement dont l’objectif était de repenser l’approche médico-sociale. Seule la première étape du plan a été validée par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, en 2016, avec la mise en place de l’allocation personnalisée à l’autonomie (APA), démontrant déjà la volonté de développer le maintien à domicile des seniors, mais faute de budget elle a été mise de côté.

 

L’entrée en Ehpad : une étape difficile

Pour coïncider avec l’arrivée de la concertation pour la loi sur le financement de la dépendance, la Caisse des dépôts, l’AG2R La Mondiale et le think tank Terra Nova ont commandé une étude sur la perte d’autonomie au centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc). Résultat : le placement des personnes âgées en établissement spécialisé est perçu comme une mise en retrait de la société, une perte d’autonomie de choix et un soulagement pour les proches. Plus inquiétant, l’étude révèle que l’ « on entre en structure d’accueil, parce qu’on a perdu en autonomie. Mais on en perd un peu plus encore une fois à l’intérieur… Ce moment est ainsi vécu comme une double peine par les intéressés », ce qui explique la raison pour laquelle « dans 40 % des cas, l’entrée en maison de retraite se fera contre le gré de la personne concernée ». Par ailleurs, l’entrée en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) représente un coût financier important – et inégalement réparti sur le territoire – que les personnes à bas revenus ne peuvent prendre en charge. L’étude confirme donc l’urgence actuelle à développer le maintien à domicile des seniors et l’amélioration de la qualité et de l’accueil des lieux de soins médicalisés. Sensible à cette réforme la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a déclaré qu’il fallait « changer de modèle », car il n’y a « pas une seule personne aujourd’hui qui souhaite aller en Ehpad ».